1966
Le
26 mars 1966, le groupe joue au Corn Exchange de Bristol, en première
partie de Mark Roman and the Javelins. Mais, Les Spectres, n'ont
qu'une envie en tête, c'est entrer en studio pour y enregistrer
leur premier disque. Jusqu'à présent, ils n'ont pas réussi à
séduire des producteurs grâce à leurs concerts. Il faut forcer le
destin en se faisant connaître autrement, en allant à l'encontre
des maisons de disques et les inciter à écouter les bandes qu'ils
enregistreront. Il devient impératif de présenter quelques démos
convenables avec un son correct. C'est pourquoi Pat Barlow,
leur producteur, se met à la recherche d'un studio bon marché car
les finances du groupe sont très limitées. En effet, ce ne sont pas
les quelques concerts donnés devant quelques dizaines de personnes
qui suffisent à fournir de satisfaisantes rentrées d'argent.
'L'important était de vivre, de rester visible. Et puis, ça
payait, quand même les factures. Nous n'avions pas le choix du
lieu où nous jouions du moment que c'était devant un public'
relate Rossi. Aussi, chacun parallèlement à ses activités
musicales possède un petit travail. Ainsi, Francis Rossi travaille
chez un opticien, pour un salaire de 3£10 par jour, ce qui lui
vaudra, de la part de Lancaster le surnom de Frame (monture). 'Après
avoir quitté l'école, j'ai trouvé un petit job chez un
opticien. Je coupais des lentilles. Il y avait une énorme pendule
dans la rue et elle ne semblait pas avancer. Une heure paraissait une
journée alors j'ai compris que ce n'était pas le genre de vie
que je voulais mener'. se souvient Rossi. Parallèlement, il est
gardien d'immeuble où il gagne 12 £ par semaine. Une évidence
s'impose, en ce début d'année 1966 et le groupe en est
conscient. On ne peut pas percer en se contentant de reproduire sur
scène les chansons des autres. Un groupe de reprises n'a aucune
chance de décrocher un contrat discographique. Les Beatles, les
Stones, les Kinks ont montré le chemin. Il faut composer ses propres
titres. Mais, pour l'instant, les Spectres ne possèdent pas un duo
magique comme Lennon/Mc Cartney, Richards/Jagger ou les frères
Davis. Mais le plus déterminé est certainement Alan Lancaster qui
n'envisage pas, lui non plus, de mener une morne existence à
l'écart du show-business. Sa détermination n'a d'égale que
son incroyable énergie à écrire des morceaux. Il passe des nuits
entières à composer et, laborieusement, ses travaux commencent à
porter ses fruits. Le premier titre à sortir de ses besognes
s'appelle 'Don't cry when you're alone' dont les paroles
racontent l'histoire d'un garçon récemment répudié par sa
petite amie. Un second titre voit le jour, c'est 'You are my
girl'. Ces deux titres sont-ils issus de la fiction ou de la
réalité ? A cette époque, Alan et ses amis vivent, comme
beaucoup d'adolescents, des amours éphémères mais parfois
laissant quelques traces. Il n'en est pas de même pour Rossi qui
semble vivre l'amour de sa vie avec Jean, rencontrée l'année
précédente. Après avoir mis à profit la période d'inactivité
du début de l'année pour répéter intensément chez Barlow à
Camberwell, le groupe enregistre plusieurs démos, dans un studio
miteux que Barlow a fini par réussir à trouver. 'Nous avons
réussi, tous ensemble, à économiser assez d'argent pour louer un
après-midi, un studio professionnel, quelque part, en ville. Nous
avons joué, quelques titres, exactement de la manière que nous les
interprétions en 'live' explique Rossi. Barlow en fait quelques
copies. L'ensemble des titres, dont les deux signés Lancaster,
sont envoyés à diverses maisons d'édition, dont les plus
réputées comme Decca qui a en charge les Rolling Stones.
Malheureusement, la célèbre maison de disques ne donne pas suite au
grand damne de Barlow qui comptait faire de Status Quo, le groupe
gentillet de la compagnie de disques par opposition aux rebelles de
la bande à Jagger. Mais, comment Decca qui avait refusé
antérieurement les Beatles, Les Yardbirds et Manfred Mann
pouvait-elle accueillir les Spectres ? Personne n'est vraiment
intéressé. Et puis, le groupe n'a pas de contrat pour l'été,
excepté quinze jours passés à Avignon. Au moins, l'année
précédente avait été prolifique (toute proportion gardée) avec
le contrat du Butlin's. Là, rien ! Même pas un petit
frémissement, une bribe d'engagement ! Rien ! Le calme
total. Barlow a beau se démener, personne ne veut engager son
groupe. Alors, pour ne pas rester sans activités, les jeunes font le
tour des campings afin de proposer leurs services. On les refoule
bien souvent mais ils arrivent, néanmoins, à donner quelques
représentations peu payées et parfois pas payés du tout. On leur
offre juste une boisson, c'est tout !
Pourtant,
après avoir écouté soigneusement leur bande, le label Picadilly
Records contacte Barlow et semble intéressé par ce jeune groupe
qu'il juge prometteur. La
formation enregistre, alors, une démo de " I who have
nothing " que Barlow envoie à Ronnie Scott qui la propose, à
son tour, à John Schroeder, un producteur de Columbia récemment
arrivé chez Pye. 'Ronnie Scott, qui était un ami et une des têtes
pensantes de Valley Music, m'a appelé courant juillet 1966. Nous
nous sommes rencontrés et il m'a fait écouté une démo du
groupe. C'était 'I who have nothing' un titre de Shirley
Bassey. Je fus complètement surpris parce que, premièrement,
c'était un choix extrêmement étrange et que deuxièmement ils en
avaient fait une version très attractive.' se souvient le
producteur qui déclare, alors, que si les Spectres sont capables de
lui présenter une prise originale d'une reprise et un titre
original, il pensera sérieusement à les engager. Quelques jours
plus tard, Lancaster propose alors un nouveau titre, sorti de sa
plume, 'When he passes you by'. L'orgue et la basse y sont
dominants. La reprise que demande Schroeder est trouvée dans le
titre 'Walking with my angel'. Schroeder est impressionné par la
vitesse de réaction du jeune groupe et n'est pas insensible à ce
morceau original. Ce dernier, qui a déjà découvert de jeunes
talents, est enthousiaste et pense avoir trouvé un groupe à succès
et c'est après avoir assisté à un concert au Charlie Chester's
Casino de Londres et à quelques unes des répétitions des Spectres
dans le sous-sol de leur plombier-manager qu'il décide de leur
offrir leur premier contrat discographique. Barlow est rapidement
prévenu. Dans un enthousiasme sans précédent, il prévient ses
jeunes musiciens. Ses efforts n'ont pas été vains. Ca y est,
c'est fait, le rendez-vous est prévu dans les jours qui suivent.
Ce contrat d'une durée de cinq ans est signé le lundi 18 juillet.
Les quatre jeunes gens sont réellement impressionnés car ils ont
rendez-vous avec de notables costumes-cravates d'un certain âge
avec pour unique vocation de faire rentrer de l'argent frais dans
les caisses de la compagnie. L'entrevue est vite expédiée mais
c'est du délire au sein du groupe. " Le jour où on a signé
ce putain de contrat, j'avais une telle pétoche que j'avais
décalé le boutonnage de mon veston et pendant toute la discussion,
j'ai senti le regard du directeur se poser sur mon abdomen "
se souvient Rossi. En 1961, Pye a refusé les Beatles pensant que les
quatre de Liverpool n'ont aucun avenir dans le monde de la pop
music. Les responsables ne se sont pas encore remis de ce crime. Afin
de réparer sa cruelle erreur, la maison de disques engage alors,
l'année suivante, the Searchers, dont le premier titre 'Sweet
for my sweet' est immédiatement n°1. Quatre autres n°1 suivront
mais le dernier hit du groupe, qui semble commencer à s'essouffler,
remonte à 1965. Pye sait que le groupe arrive en fin de parcours, le
contrat sera d'ailleurs résilié, l'année suivante. Certes, il
reste les Kinks et Donovan qui procurent à Pye, de subséquentes
ventes de disques mais les responsables pensent que les Spectres
peuvent, toute relativité gardée, devenir les Beatles de la maison. 'Naturellement,
je pensais qu'ils avaient un gros potentiel, alors je suis venu
voir jouer le groupe après avoir écouté leur démo. Ils
possédaient une formidable énergie et semblaient très liés' se
souvient Schroeder.
Enfin,
ils avaient ce qu'ils désiraient tant, un contrat et vivre de leur
musique mais profitant de leur naïveté, cet engagement frisera
l'escroquerie, nos quatre lascars ne touchant qu'à peine 1,5% de
85 % du montant de leur vente en Angleterre et la moitié pour les
ventes étrangères! Les chiffres ? Pour le moment, les quatre
jeunes amis ne s'en préoccupent guère. Ce qui compte, c'est le
fait d'apposer les signatures au bas du papier et d'arborer ça
auprès des parents, mais et surtout de la joute féminine. Et puis,
même si le pourcentage est faible, les millions de disques que
vendront les Spectres arriveront à procurer de décents revenus.
L'optimisme est omniprésent. Une fois le contrat signé, Lancaster
et Rossi se mettent à l'écriture de nouveaux morceaux qu'ils
proposent à Schroeder mais ce dernier les estime insuffisamment bons
pour en faire un disque. Pendant ce temps, les Spectres trouvent, on
ne sait trop comment, un engagement de quinze jours dans un club de
vacances à Avignon. Barlow n'est sûrement pas étranger à cette
affaire et il accompagne les quatre rejetons dans le sud de la
France. 'C'est le début de la carrière internationale'
pensent les enfants qui réalisent un rêve, celui de jouer à
l'extérieur des frontières anglaises. Là, Lancaster reçoit son
surnom de Nuff. Afin
de ne pas perdre de temps, John Schroeder se contente de remanier la
démo de 'I who have nothing', qui l'a fortement
impressionnée ainsi que Ronnie Scott. Le choix de ce titre est
également dicté par le fait que le groupe vient de l'inclure à
sa set-list et semble apprécié par le public. De plus, c'est un
titre originalement enregistré par Ben E.King au Printemps de 1963,
repris par Shirley Bassey qui en fera un hit au top 10 au mois de
septembre 1963. Schroeder pense, également, que les arrangements de
ce nouveau groupe sont très bons et surtout différents de ceux
effectués par les autres formations de l'époque. L'orgue de
Lynes est prédominant dans ce titre démontrant ainsi toute
l'influence du titre 'Telstar' sur la musique du groupe. La
face B est 'Neighbour Neighbour', titre interprété par
Lancaster et comportant le premier solo de guitare de Rossi. 'Je ne
pouvais pas le croire lorsque j'ai appris qu'ils faisaient un
disque. J'étais excité lorsqu'ils me l'ont montré ! Un
disque avec le nom de mes amis dessus ! J'étais immensément
fier et heureux pour eux. Et un peu jaloux aussi. Dorénavant, je
voulais absolument faire la même chose et dès le moment où j'ai
rencontré les Spectres, je savais que le fait de jouer avec les
Highlights allait être ennuyeux' se remémore Parfitt.
Dans un but promotionnel, Francis, Alan, Roy et John enregistrent cinq titres (I who have nothing, Neighbour neighbour, Bird dog, Gloria et Blood Hound) pour la célèbre émission radio de la B.B.C, Saturday Club devant être diffusé le 10 septembre. Ce sera le seul enregistrement, pour la B.B.C, sous le nom des Spectres. Le premier single, sorti le 9, se révèle, pourtant, un bide total. Certaines critiques affirment que le titre est trop récent pour en faire une reprise. Pourtant, cette contre performance n'altère en rien les ardeurs du groupe et c'est Alan Lancaster qui s'attelle à l'écriture du futur single, aidé en cela par un compositeur inconnu qui vendra ses droits à Barlow. Il faut, absolument produire un nouveau titre, rapidement. 'Il serait difficile d'oublier le jour où Pat Barlow est venu à mon bureau, à la pause déjeuner, pour discuter du prochain single. Il était pratiquement impossible de cacher notre surprise et notre amusement lorsqu'il est arrivé dans un sale bleu de travail avec une grande clé dépassant de sa poche et chaussé de grosses bottes. Comme manager d'un groupe de rock, çà semblait un peu incongru mais ce type était merveilleux. Je lui ai demandé si le groupe avait du matériel original qui aurait pu être considéré. Il m'a alors présenté 'Hurdy Gurdy Man' écrit par Lancaster. C'était différent et accrocheur. J'ai aimé ce que j'ai entendu et décidé que nous pourrions le lancer comme futur single' se souvient Schroeder. Le nouveau et second titre des Spectres sort finalement le 18 Novembre soit un mois avant Noël, le management espérant profiter de l'habituel rush des fêtes de fin d'année. 'Hurdy gurdy man', ne connaîtra pas, lui non plus, les honneurs des Charts. En face B, apparaît le titre 'Laticia', originalement appelé 'Her name is Laticia' une composition de Lancaster et Parfitt. Cependant, pour des raisons de droits d'auteur, le nom de ce dernier ne figure pas sur le disque. A cette époque, Rick ne fait évidemment pas encore parti des Spectres et la maison de disques ne semble pas accepter de se priver de certaines rentrées d'argent pensant ainsi détourner à son profit les sommes normalement réservées à Parfitt. Hélas pour ces requins de la finance, c'est un échec commercial. 'Comme chaque groupe de cette époque, ils recherchaient leur direction. Et une des manières de le démontrer est qu'ils commençaient fortement à composer leurs propres titres. Ils progressaient rapidement' confiera plus tard Schroeder. Il est bien évident qu'un tel manque de succès sur le territoire anglais n'incite aucunement les filiales étrangères de Pye à commercialiser les disques des Spectres. C'est pourquoi les seuls pressages existants en dehors du Royaume-Unis sont les simples suédois et hollandais de 'I who have nothing' et l'allemand de 'Hurdy gurdy man'.Etonnamment, le premier single est, lui, édité au Japon. Pourtant, malgré ces deux échecs, les Spectres continuent à croire fermement en leur avenir, encouragé en celà par leur entourage. De son côté, Rick Parfitt tourne avec les sœurs Harrison mais leur entente se détériore rapidement. 'Nous avons effectué, cette année là, la saison de vacances à Skegness et les choses allaient de plus en plus mal. J'avais vraiment le béguin pour Jean mais elle sortait, la nuit, avec d'autres gars et je restais éveillé jusqu'à ce qu'elle rentre. Nous louions une petite maison et une fois, j'avais détruit ma chambre car elle était sorti avec quelqu'un d'autre'. relate Rick. Pendant ce temps, chaque membre passe les fêtes de fin d'année en famille, chacun pensant à cette première année, porteuse d'espoir puis finalement marquée par les deux terribles échecs des singles et les non rentrées d'argent que chacun pouvait, en secret, espérer. 'Bien que nous ne soyons pas uniquement motivés par l'argent, quand nous touchions un petit cachet, ça nous permettait d'investir dans du matériel de meilleure qualité. C'était très excitant d'autant plus que le fait d'être dans le groupe semblait attirer les filles' révèle Coghlan. C'est à peu près la seule consolation que peuvent trouver les membres du groupe car, au moment, où John Lennon déclare que les Beatles sont plus populaires que le Christ, Francis, Alan, Roy et John aimeraient bien pouvoir dire la même chose.
Les concerts de l'année 1966
1. 26/03. Bristol, Corn Exchange (Angleterre) Première partie de Mark Roman & The Javelins
2. /06. Londres, Charlie Chester's Casino
3. /07. Lyon (France)
4. /07. Avignon (France)
5. 03/09. Exeter, St Georges Hall (Angleterre)
6. 04/09. Bournemouth, Royal ballroom (Angleterre)
7. 06/09. Londres, Playhouse théâtre (Angleterre) BBC sessions
8. 06/09. Bournemouth, Pavilion Ballroom (Angleterre) Première partie de Chapter IV
9. 04/10. Bournemouth, Pavilion (Angleterre) Première partie des Pretty Things
10. 16/10. Burton on Trend, 76 Club (Angleterre)
11 17/10. Cranleigh, hall (Angleterre) Première partie de Screaming Lord Sutch Savages
12. 21/11. Bridgwater, Town Hall (Angleterre)
13. 23/12. Bath, Regency ballroom (Angleterre)