1963



L'apport de John est énorme car il renforce encore plus la détermination des trois autres. Il possède une véritable batterie et, à l'inverse de Smith, il sait en jouer. Il imprime le rythme (qui manquait cruellement avant), sur lequel s'appuie Lancaster pour jouer de la basse. Grâce à lui, les morceaux sont plus structurés, plus puissants. Certes, il y a encore des progrès à faire, des modifications à apporter mais l'édifice prend forme petit à petit. De plus, John a déjà seize ans et détient une certaine expérience que Francis, Alan et Jess ne possèdent pas. Son apport rythmique est aussi important que son relatif apport financier car c'est le seul à travailler et ses maigres revenus entretiennent quelque peu le groupe. A la fin de chaque semaine, il arbore fièrement les quelques Livres qu'il vient de toucher. Les autres le jalousent bien un peu mais sont tellement heureux de pouvoir jouer avec lui et de surtout bénéficier de ces quelques billets et piécettes. Ils aimeraient bien, également, trouver quelques petits jobs pour rivaliser avec le batteur mais conjuguer école, travail et répétitions est impossible à loger dans une journée de 24 heures. Il faudra patienter et ils doivent se contenter de quelques sommaires besognes qui ne leur rapportent qu'un maigre argent de poche qui suffit à peine à changer une corde de guitare. 'Dès que John est arrivé, il fût la clef du développement du groupe' affirme Lancaster qui voit déjà en lui, le complice idéal pour former une rythmique exemplaire. Le pauvre Barry Smith est, définitivement rangé au rayon des oubliettes. Il lui arrive de rencontrer, au hasard d'un coin de rue, ses ex-copains mais les regards s'évitent au maximum. Au mois de janvier, 'Telstar' des Tornadoes est n°1 aux Etats-Unis. C'est la première fois qu'un groupe anglais obtient un tel résultat outre atlantique. De plus, ce titre restera classé pendant dix-huit semaines aux Etats-Unis, vingt-cinq en Angleterre et enregistre des ventes colossales dans toute l'Europe. En Angleterre, les ventes de ce titre s'élèvent à 967.000 exemplaires. Tous ces chiffres laissent rêveurs les quatre musiciens mais les confortent encore plus, si besoin en était, dans leur désir de percer et dans la direction musicale qu'ils semblent vouloir suivre car ce titre reste leur référence ultime, celui sur lequel ils s'appuient pour lancer leur future et fulgurante carrière. Uniquement instrumental et musicalement simple, le morceau se fait succéder solo d'orgue et de guitare. Rossi et Jaworski se voient bien dans ce rôle !

En 1963, Les Spectres répètent et répètent encore, plus que jamais. 'Nous répétions tous les soirs, pensions nous réveiller le lendemain matin et que quelque chose allait changer' se souvient Rossi. 'Lorsque j'ai réuni tout le monde pour former notre groupe, personne ne savait jouer, à l'époque. Alors, nous avons du, dans un premier temps, apprendre comment se servir de nos instruments' précise Lancaster.

Comme l'année précédente pour les parents d'Alan, Mr et Mme Jaworski commencent à montrer des signes de lassitude d'avoir à subir, quotidiennement, les ardeurs musicales des adolescents. Certes, la maison est assez grande et la famille Jaworski a plutôt tendance à vivre à l'étage. De toute façon, le salon, situé au rez de chaussée, qui sert de pièce à répétition est envahi par les divers instruments. 'De temps en temps, ça déprimait mon père, lorsqu'il descendait les escaliers, de voir ça' confiait Jess, quelques années plus tard. Afin de ne pas trop user le tapis, Mr Jaworski se décide à acheter un morceau de tapiflex où les garçons pourront poser instruments et matériel divers. Les enfants sont, alors, comblés car ceci semble leur donner une meilleure résonance. L'école devient secondaire et il n'est pas rare de voir Francis, Alan ou Jess endormis sur les pupitres de la Sedgehill Compréhensive School. En cours, c'est inutile de les interroger sur la leçon étudiée. Rossi passe son temps à dessiner des guitares tandis que Lancaster positionne des notes sur une portée griffonnée sur son cahier. De plus, Alan et Francis ont acquis une solide réputation de déconneurs. 'Nous étions des bons gars, pas hargneux. Notre seul défaut, c'était pendant les cours de chimie ... On était espiègles. Mettre de l'acide nitrique dans les flacons de vernis à ongles des filles ou jouer avec les robinets du gaz' plaisante Rossi. Seul, Jaworski reste sensiblement plus studieux. Il est pas question, pour lui, de sacrifier son instruction au profit de la musique qui ne doit rester qu'un loisir. La récréation tant attendue leur permet d'évoquer les futurs projets, futures chansons, futures répétitions ! Les quatre copains, lorsqu'ils ne répètent pas passent une bonne partie de leur temps devant les vitrines des magasins de musique. Les amplis, guitares et autres instruments sont comme des aimants pour ces musiciens novices, malheureusement fauchés. 'Ah que c'est alléchant ! Si seulement, nous avions quelques pennys à dépenser' pensent-ils ! Même le matériel d'occasion leur est inaccessible financièrement. Le mois de juin est maintenant là signifiant la fin de l'encombrante année scolaire. Les jeunes gens vont avoir plus de latitude pour trouver quelques petits boulots rémunérateurs. Mais les répétitions restent une priorité ! Les quatre copains sont bien séparés pendant les quelques jours de vacances passés en famille mais il leur tarde de se retrouver rapidement pour jouer ensemble. Désormais composé de Francis Rossi (guitare), Alan Lancaster (basse), Jess Jaworski (claviers) et John Coghlan (batterie), la formation commence à composer ses propres musiques et enrichit sa pauvre set-list de cinq morceaux par d'autres titres des Shadows, The Tornadoes, The Spotnicks ou encore Johnny and the Hurricanes. Il n'est plus question d'enrôler un musicien extérieur même s'il fut, un moment envisagé de recruter un second guitariste en remplacement de Rushden. Finalement, les quatre potes estiment que leur groupe, dans cette formation, suffit amplement d'autant plus que Rossi réalise de stupéfiants progrès à la guitare. Lancaster répète énormément seul. Chaque minute, chaque seconde lui permet d'améliorer, également, rapidement son jeu. Encore une fois, les Beatles servent d'exemple et le jeu de Paul Mc Cartney est décortiqué. Mais, les 'fab four' de Liverpool ne sont pas les seules sources d'influence pour le petit bassiste qui adore également le rock pur et dur. Il passe des heures entières à écouter des disques dont la plupart a été achetée par son frère qui paradoxalement ne cherchera pas à intégrer le groupe de son cadet. 'Répéter avec les disques me permettait de travailler les passages en les écoutant plusieurs fois de suite, chose qui était impossible avec des titres diffusés en radio' souligne le bassiste. Les quatre adolescents s'entendent comme larrons en foire. Ils sont très proches les uns des autres, seules quelques disputes d'adolescents au sujet d'une fille viennent, de temps à autre, ternir ce bel univers. Le père de Coghlan les surnomme ironiquement 'The League of Nations' à cause des origines différentes qui composent le groupe. En effet, Jaworski est d'origine polonaise, Rossi italienne, Coghlan écossaise et Lancaster, anglaise. Le père de ce dernier s'improvise manager du groupe et lui cherche quelques engagements qu'il réussit, tant bien que mal à décrocher et on peut voir souvent la formation tourner dans des pubs, surtout situés dans la banlieue sud de Londres, celle dont ils connaissent les moindres recoins. 'Bien que mes origines soient italo-irlandaises, je me suis toujours considéré comme un sud-londonien. C'est là que je suis né, que j'ai grandi et où j'habite toujours. N'importe où je me trouve dans le sud de Londres, je me sens chez moi' affirme Rossi. Il est difficile de trouver un groupe aussi bon marché que les Spectres, argument déterminant dans la bouche de Mr Lancaster. Les quatre musiciens arrivent à décrocher une petite réputation locale et se produisent souvent au Samuel Jones Sports Club, qui devient, peu à peu, leur lieu de résidence fétiche. C'est un lieu surtout fréquenté par des ouvriers locaux, auditoire peu exigeant venu simplement passer un bon moment à l'écoute d'un bon vieux rock'n'roll en sirotant une bonne bière. Et puis, ils sont heureux de voir ces quatre adolescents, peu aguerris, se démener pour eux. Familles et amis sont toujours présents à chacune des représentations ce qui, si besoin en était, encourage les Spectres à continuer dans la voie qu'ils ont tracée. Quoi de plus motivant que de se sentir soutenu par ses proches ? Tout ce petit monde, auditoire et musiciens évoluent dans le même (pauvre) milieu social et se sentent complices. Seulement, de par son manque de moyens, le public ne se montre guère généreux et Les Spectres jouent des heures entières, des nuits entières pour des sommes dérisoires. Peu importe ! L'important est de jouer, l'argent est secondaire dans l'esprit des quatre jeunes. Souvent, le groupe se heurte à la mère d'Alan Lancaster qui veut que son rejeton soit impeccable pour monter sur scène. 'Alan en devenait fou. Il nous disait qu'il ne pourrait pas continuer. Quelquefois, il arrivait en retard nous disant que sa mère l'avait retenu pour nettoyer ses chaussures, des choses comme çà. Nous ne pouvions pas commencer un concert sans l'accord de la mère d'Alan' se souvient Rossi. Le petit Lancaster fera, peut-être carrière, dans la musique mais ça passe par une propreté et une netteté à toute épreuve. Madame Lancaster est intransigeante là-dessus et Alan est bien obligé de s'exécuter de peur de voir sa mère bondir sur la scène et interrompre le spectacle. Les trois autres se moquent bien un peu de lui, de temps en temps. Normal ! Malgré tout ça, le peu d'argent récolté sert à investir dans du matériel. Le père d'Alan Lancaster ne relache pas son ardeur. Lorsque le calendrier est vide, il parcourt, après sa journée de travail, toute la banlieue londonienne afin de leur trouver de nouveaux engagements qui, faute d'être lucratifs permettent au groupe de peaufiner sa musique composée surtout de reprises de rock'n'roll telles que "Twist ans shout" ou "Sugar and spice", morceaux que le groupe a commencé à travailler avec l'incorporation de Coghlan. Le père de Rossi est, quant à lui, beaucoup plus réservé sur la voie que semble prendre son fils d'autant plus que ses résultats scolaires sont mauvais pour ne pas dire catastrophiques. 'Je ne le savais pas, à l'époque, mais mon père venait écouter nos répétitions, assis dehors. Il était inquiet sur mes chances de réussite. Il y avait beaucoup de groupes et il ne pensait pas que je pourrais faire une carrière bien que les Beatles démarraient à cette époque et qu'il pouvait voir qu'il y avait de l'argent à faire'. relate Francis. 1963 marque l'éclosion des Beatles. Les similitudes entre les deux groupes sont nombreuses : Les deux formations sont composées de quatre membres, tous sont issus de quartiers pauvres, ils ont viré leur premier batteur d'une manière assez rugueuse. Les Spectres se voient bien poursuivre la route tracée par leurs aînés. Afin de ne pas créer de zizanie au sein de leur formation, les quatre jeunes gens s'accordent sur le fait qu'il n'y aura jamais de chef, que chacun d'entre eux est l'égal de l'autre. Mais, oubliant cette promesse, Alan tend déjà à s'imposer comme le leader du groupe. 'J'aimais bien Alan Lancaster mais il avait un caractère dominant et très franc. Il voyait toujours le groupe comme son groupe et nous étions obligés de faire avec, juste pour avoir la paix. Mais une fois ou deux, je me suis confronté à lui en lui disant qu'il n'était pas le leader, que personne ne l'était d'ailleurs. Ca se terminait par des engueulades effrénées et même des combats' se souvient Rossi. 'Alan était toujours très sérieux et n'avait pas l'esprit à la plaisanterie comme nous. Francis et moi passions notre temps à déconner et à prendre du bon temps. Je ne peux pas réellement comparer avec les plaisanteries que font maintenant Rick et Francis mais c'était un peu comme ça' souligne Jaworski.


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